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6 mars 2024 3 06 /03 /mars /2024 11:46

L’usine Alstom à Ornans (Doubs), environ 300 p., a fêté son centenaire en 2019 – en fait elle existe depuis 1900, sous la forme d’un atelier de mécanique créé par Charles Olivier (il y fabrique les compresseurs d’air de la ligne de métro parisien Nord-Sud, actuelle L12).

Une rare vidéo Est Républicain de 2019 retrace l’historique de l’usine, par un de ses employés (veuillez excuser la pub., mais la vidéo mérite d'être mentionnée) :

Vidéo intéressante (après la pub...), notamment la partie historique au début.

Dès 1919, c’est le début du moteur de traction ferroviaire à Ornans. La société zurichoise Maschinen Fabrik Œrlikon reprend l’atelier Olivier pour construire les moteurs de la Compagnie de chemins de fer Paris-Orléans (une des compagnies privées d’avant la nationalisation de 1937 ; c’est le réseau Austerlitz Bordeaux-Toulouse, et jusque dans les années 1960, on parlait de la gare d’Orléans-Austerlitz).

Compagnie P.-O. (Paris-Orléans), gare d'Orsay - aujourd’hui musée d’Orsay (photo AM)

La société suisse construit à Ornans des cités-jardins, toujours habitées. En 1972, la société est rachetée par la CEM (Compagnie électro-mécanique), filiale française d’une autre société suisse, Asea Brown Boveri ABB, géant de l’électrotechnique.

Les fabrications d’Ornans furent variées : les premiers électro-aimants, fournis au Collège de France pour la physique nucléaire (1929), moteur du premier métro-automatique VAL (Villeneuve d’Ascq-Lille, aujourd’hui connu via Orlyval) (années 1970), moteurs du TGV, puis moteurs à aimants (2008).

En 1984, la CEM (présidée de 1971 à 1983 par Roland Koch, X1937) est rachetée par GEC-Alsthom, aujourd’hui Alstom, et avec ses 300 p. est toujours la spécialiste mondiale des moteurs de traction ferroviaire. C’est une des 16 usines françaises de ce groupe.

Elle récemment refait parler d’elle pour l’inauguration en janvier 2024 d’un banc d’essai pour moteurs de haute puissance – avec 300 p. elle fabrique 2000 moteurs de traction ferroviaire par an), pour 1,4 M€, dont 0,4 M€ financés par le plan France Relance 2030 (et avec une communication de type technologies industrielles 4.0…)

Au-delà de cet investissement (somme toute modeste – et pourquoi co-financé par l’État ?), c’est le parcours historique et la compétence technique de cette usine que nous avons voulu illustrer ici.

Vue panoramique de moteurs, usine d'Ornans, photo Est Républicain 2017.

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11 février 2024 7 11 /02 /février /2024 19:07

Reichshoffen de Aimé Morot (1887 ; château de Versailles).

En dehors d’être célèbre (en tout cas dans les programmes scolaires des années 1960) pour sa charge de cuirassés aussi vaine que meurtrière contre la mitraille allemande, le 6 août 1870, pendant la guerre de 1870-1871, Reichshoffen (Alsace) est le siège d'une très ancienne usine de locomotives et d'autorails, qui emploie début 2024 environ 800 personnes.

Il existe une page Wikipédia consacrée à cette usine, page bien faite que nous résumerons ici, mais aussi compléterons (par l'épisode Perricaudet ─ les archives du Monde sont un outil précieux à cet égard, pour nous mettre sur la piste d'autres recherches). L'usine ferroviaire est créée en 1848 par la famille de Dietrich, famille industrielle active dès 1684, et aussi connue dans le domaine de l'électroménager, des début de l'aviation (Lorraine-Dietrich) et de l'automobile. Nous n'avons pas exploré quels sont les contours actuels de ce groupe, et quel est son actionnariat (encore familial ?): tous commentaires informatifs seront bienvenus.

L'usine de Reichshoffen est dans le groupe De Dietrich ferroviaire de sa création en 1848, jusqu'à 1995, date à laquelle un X-Mines, cadre ferroviaire, Michel Perricaudet, reprend la majorité de De Dietrich ferroviaire ; GEC-Alsthom, lui aussi constructeur ferroviaire (à Belfort notamment), en prenant 17,5% (et De Dietrich gardant 31%). En 1995, l'usine emploie 1000 personnes ; en 1998, la participation de 51% de Perricaudet est rachetée par Alstom; l'usine a déjà baissé à 800 p., et un plan de restructuration prévoit de passer à 500 p.

En juillet 2020, suivant les lois régissant la concurrence, Alstom doit céder ce site pour racheter le Canadien Bombardier. C'est le groupe ferroviaire du Pays basque espagnol C.A.F. Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles qui la rachète ; l'usine est entrtemps remontée à peu près à 800 p. Ce groupe CAF possédait déjà une usine plus modeste à Bagnères-de-Bigorre (65) en France (anct Soulé, créée en 1862, puis Chemins de fer Départementaux de 1992 à 2010, et rachetée par CAF en 2010), usine de 200 p. [au passage on serait heureux de comprendre quels étaient/sont les actionnaires de ce holding parisien CFD - Chemins de fer départementaux, société créée en 1881 et toujours active semble-t-il].

Usine de Reichshoffen, 2023 (photo Jean Schweitzer, France Bleu)

 

L'usine de Reichshoffen, env. 800 p., appartient donc depuis 2020 à ce groupe espagnol, comme la plus petite usine de Bagnères en Bigorre (env. 200p.). Ce groupe, créé en 1902, emploie environ 13 000 p. dans le monde, pour 3,165 MM € de chiffre d'affaires.

 

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7 février 2024 3 07 /02 /février /2024 14:50

On a cherché à se rappeler les origines du mastodonte ATOS (110 000 p., 11 milliards d’euros de CA), aujourd’hui très mal en point, à la différence de ses concurrents. C’est un conglomérat forgé principalement par deux branches françaises historiques.

La première branche – la principale – vient de SLIGOS (le OS d’ATOS) créée en 1972 par fusion de deux sociétés d’informatiques bancaire, la CEGOS et SLIGA (Crédit Lyonnais), créées dans les années 1960. Parallèlement, AXIME naît en 1991 de la fusion de diverses sociétés créées dans les années 1970. En 1997, AXIME et SLIGOS fusionnent en ATOS.

La deuxième branche est plus intéressante historiquement. Elle prend sa source avec la Sema (Société d'économie et de mathématiques appliquées, créée en 1958 par deux polytechniciens et un normalien : Jacques Lesourne, Marcel Loichot et Robert Lattès), applications d’informatique industrielle. Devenue Sema-Metra, puis Sema Group. Cette société performante est achetée en 2001 pour 5 MM € (somme très importante à l’époque) par Schlumberger ; la fusion est catastrophique, et Schlumberger revend Sema Group à ATOS en 2004 pour 1,4 MM €.

Une troisième branche, non française – d’origine néerlandaise – est à signaler : c’est le rachat par ATOS en 2000 d’Origin (NL), où existait une forte participation de Philips. Le groupe s’appelle ATOS ORIGIN, avant de reprendre le nom d’ATOS en 2011. Autre acquisition européenne d’ATOS : Siemens IT Solutions and Services en 2010 (ATOS est alors comparée à « l’Airbus des services informatiques »).

En 2014, ATOS rachète l’industriel Bull pour la sommé de 620 M €. En 2017, elle entre au CAC40.

L’année 2021 est « l’année noire » (Wikipédia), due à la croissance forcée, avant une découpe et une vente par appartements. Nous n’irons pas plus avant sur cette période.

 

Siège social d’Atos, à Bezons s/ Seine (95) (WikiCommons auteur unicocorn)

 

Dirigeants à signaler :

Jacques Lesourne (X-Mines 48), président de SEMA, de la création 1958 à 1975 – avant de donner une composante académique à sa carrière ;

Pierre Bonelli (X59), président de Sema Group de 1982 jusqu’à son rachat par Schlumberger en 2001 ; un patron efficace et très réputé à l’époque ; il prend la tête de Bull en 2002, la redresse mais meurt prématurément en 2004, à 64 ans ;

Philippe Germond (centralien), patron d’ATOS 2007-2008, carrière très papillonnante, DG SFR, puis DG d’Alcatel, puis président du directoire d’Atos ;

Thierry Breton (SupElec), patron d’Atos 2009-2019, après avoir été DG de Bull 1993-1997, PDG de Thomson Multimedia 1997-2002, PDG de France-Télécom 2002-2005 (lui succède Didier Lombard, lorsque Breton entre au gouvernement), ministre de l’Économie 2005-2007, puis ATOS. Politique d’acquisition importante, qui double le personnel du groupe de 55 000 à 110 000 p. Puis nommé par Macron à la Commission européenne en 2019 ;

En octobre 2020, l'ancien Premier Ministre Édouard Philippe est élu au CA d’Atos, qu'il quitte en mai 2023 ;

PDG et DGs d’ATOS depuis 2019 : Elie Girard (2019- oct. 2021) (un des Breton’s boys) ; Rodolphe Belmer (oct. 2021 – juillet 2022) ; Nourdine Bihmane (juillet 2022-oct. 2023) ; Yves Bernaert (depuis oct. 2023) ; pour les présidents du Conseil : Bertrand Meunier (X77, de 2019 à oct. 2023, banquier BNP), puis Jean-Pierre Mustier (X81), depuis oct. 2023, ex-banquier lui aussi ;

─  À signaler qu’en octobre 2023, une administratrice indépendante, Caroline Ruellan, démissionne ;

À suivre, puisque le groupe ATOS est en cours de démantèlement au détriment de ses salariés, et au profit de ses banquiers créanciers et de Daniel Kretinsky, qui pourrait récupérer de nombreuses activités.

 

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5 février 2024 1 05 /02 /février /2024 22:59

L’usine sidérurgique d’Hayange (Moselle) est une usine-mère de la production de rails en France. Créée par les Wendel en 1892, elle reste plus ou moins dans ce mégalithe familial, à travers diverses maisons-mères, comme Wendel-Sidélor puis Sacilor (Sociétés des aciéries de Lorraine) ; la fusion a lieu en 1984 avec Usinor (Union sidérurgique du Nord de la France), sous l’égide du gouvernement socialiste, en Usinor-Sacilor (devenue Usinor tout court en 1997). Elle porte le nom de SOGERAIL, au sein d’Unimétal, filiale produits longs d’Usinor-Sacilor.

L’aventure française s’arrête là. En 1999, SOGERAIL est vendue par le groupe français à British Steel. Ce groupe devient Corus (par fusion de British Steel et de la sidérurgie nationale NL Hoogovens) en 1999. L’usine d’Hayange fait à peu près 440 p., dans un méga-groupe de 66 000 p.

Corus Hayange (57), photo jmo (lien)

 

Cette entreprise CORUS, conglomérat anglo-néerlandais dans l’aluminium et l’acier, s’est avérée être une catastrophe. De la même manière que la sidérurgie française USINOR s’était vendue à l’Indien Mittal Steel en 2003, la sidérurgie britannique (British Steel devenue CORUS) doit se vendre à l’Indien Tata Steel en 2007. En octobre 2009, le vibrionnant Sarkozy annonce un contrat de 300 millions d’euros pour l’usine d’Hayange avec RFF (Réseau ferré de France).

A partir de 2016, après les groupes britannique puis indien, interviennent les financiers : Tata vend ses produits longs européens (dont Hayange) à Greybull Capital, fonds britannique créé… en 2010.

L’usine d’Hayange, 2015 (Les Échos, lien) ; image des rails, France TV.

 

En juillet 2020, nouveau fonds financier et commercial britannique, Liberty Steel, propriété du magnat anglo-indien Sanjeev Gupta, qui est préféré par l’État français à d’autres repreneurs. Huit mois plus tard, lâché par la faillite de son principal banquier, Liberty doit mettre Hayange au tribunal de commerce en mars 2021. L’usine est rachetée par Saarstahl (un groupe sidérurgique resté européen… allemand, en Sarre, et qui a fait partie avec Arbed de l’éphémère Arcelor, suite d’Usinor, avant rachat de la partie française par Mittal Steel).

 

Bilan :

1) Wendel, puis SIDELOR, SACILOR (privé puis public français) : 1892-1986.

2) USINOR-SACILOR puis USINOR (public puis privé français, après  privatisation) : 1986-1999.

3) British Steel puis Corus sidérurgiste britannique : 1999-2007.

4) Tata Steel (sidérurgiste indien), toujours sous le nom de Corus : 2007-2016

5) Greybull Capital (fonds financier anglais) : 2016 – juillet 2020.

6) Juillet 2020 – juin 2021 Liberty Steel (groupe financier et de négoce sidérurgique anglo-indien)

7) Depuis juin 2021 ; Saarstahl (groupe sidérurgique sarrois, All.) ; toujours avec environ 450 p.

En haut, signalisation actuelle Saarstahl. En bas : Liberty Steel, propriétaire pendant 8 mois, a eu le temps de changer les panneaux indicateurs.

(toutes les signalisations de l'usine sont à retrouver sur cette excellente page)

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7 avril 2022 4 07 /04 /avril /2022 16:31

1) Un peu plus de deux ans après le passage de mon habilitation à diriger des recherches (décembre 2019), et en accord avec les membres du jury, je mets en ligne ici mon 'Mémoire de synthèse d'activité scientifique' (PDF, 41 pages, 1,3 Mo, version telle que déposée au Bureau des Thèses), à titre documentaire et d'explicitation de ma démarche.

2) J'en profite pour mettre aussi mon exposé de soutenance, donné en début de séance devant le jury. Il est complété par diverses "réponses à des questions", préparées à l'avance puisqu'il s'agissait de remarques faites par les deux rapporteurs, qu'ils ont refaites en séance.

3) à la suite de ma candidature non retenue à une direction d'études EHESS (DEC-EHESS | session 2021-2022, décision en avril 2022), je mets en ligne ci-dessous le programme de recherche intitulé 'Technocratie française' que j'avais proposé. Au cas où certain.e.s veulent s'en inspirer, ou y travailler avec moi. (PDF 8 pages, 327 kO)

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29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 11:22

(à propos de cet ouvrage, important dans le cadre de mes travaux et de mon enseignement sur l'histoire de la critique de la modernité technique #HCMT7,  je publie ici les réponses que j'ai faites aux questions à une interview réalisée par Fabien Benoît pour le magazine Usbek & Rica, partiellement reprises dans l'article final).

 

Q°) Comment qualifieriez-vous la critique technologique de Georges Bernanos ? Quelle place occupe-t-elle, précisément, dans la grande histoire de la techno-critique ?
C'est une critique datée par certains aspects : la guerre "chevaleresque" d'Ancien Régime exaltée par rapport à la "Guerre Totale" du XXe s., ou l'aspect nationaliste d'une France qui doit s'élever contre le monde des machines (d'où le titre de l'ouvrage). Mais c'est surtout une critique visionnaire, construite : Bernanos a vécu les deux Guerres mondiales et, au sortir de la Seconde, décrit une "Société Moderne qu'on ne peut distinguer de la Guerre Totale", au sens propre (les deux guerres mondiales furent le triomphe de la technique et de la vitesse) comme au sens allégorique : au retour à la paix (mais y a-t-il vraiment une paix ?), l'Homme est désincarné et sa réflexion aliénée, il est devenu prisonnier de la marche incessante du "Progrès".
 
Q°) Peut-on parler d’une critique catholique de la technique ?
Oui, bien sûr. On peut la tracer depuis Péguy, et son "monde moderne, qui fait le malin", en passant par le philosophe Gabriel Marcel (1889-1973), jusqu'à des mouvements d'idées contemporains comme la revue Limite. En quoi est-elle spécifiquement catholique ? Chez Bernanos, par exemple, "la civilisation moderne est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure" (LFCR) : la vie intérieure, pour lui, c'est aussi celle de l'idée et de la pratique religieuses. Son exaltation de l'homme "qui croit à autre chose qu'à la Technique" (LFCR), contre "l'Homme moyen" formé par la civilisation des Machines se rapporte au même idéal spirituel.
 
Q°) Certains voient en Bernanos une figure précoce de la décroissance ? Partagez-vous ce sentiment ? Doit-on lire La France contre les robots comme une critique du capitalisme ?
S'il y a un domaine étranger à Bernanos, c'est bien l'économie - à part sa vision assez sommaire d'une ploutocratie (gouvernement par les riches) américaine. La notion même de croissance (sans parler de décroissance) est un quasi anachronisme dans les années 1930. Oui, Bernanos critique l'industrie comme "moyen de créer artificiellement de nouveaux besoins qui assureront la vente de nouvelles machines", mais la même critique figure chez Denis de Rougemont en 1928 (son article "Le péril Ford"). Chez Bernanos, la critique porte aussi bien sur le capitalisme américain que sur le communisme : "Les régimes jadis opposés par l'idéologie sont maintenant étroitement unis par la technique" (LFCR). C'est ce qui fait son intérêt, historique mais aussi contemporain, en tant qu'exaltation de la liberté de pensée de l'individu.
 
Q°) Selon vous, pourquoi faut-il relire La France contre les robots aujourd’hui ?
Oui, bien sûr, abstraction faite de certaines idées parfois datées, car y figurent de belles intuitions ! Comme il faut relire sur le sujet de la modernité technique Péguy, Georges Duhamel, le romancier suisse Ramuz et ses essais des années 1930, voire Rougemont (Suisse lui aussi), bref un certain nombre d'hommes de lettres qui n'étaient ni philosophes (à l'inverse d'Ellul ou Charbonneau), ni vraiment de gauche : des penseurs isolés, hors courant politique construit, mais qui dès 1900 portent une critique visionnaire de la modernité technique. Bernanos vient un peu après, en 1945, mais l'avantage est que sa critique est ramassée en un ouvrage, précisément La France contre les Robots, qui bénéficie depuis une décennie d'un certain nombre de rééditions ; et puis, chez Bernanos, il y a le style, à la fois travaillé et percutant.
 
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29 juin 2019 6 29 /06 /juin /2019 06:57

Projet GÉO-INDUS : par une approche géographique, faire vivre sur Internet le paysage actuel de l’industrie française

 

 

Travaillant de longue date (2003) sur la diffusion numérique des savoirs sur Internet, il nous est apparu une carence dans les contenus du Web sur un sujet précis : la connaissance des sites industriels de nos territoires français. Cette lacune n’est pas seulement virtuelle, elle ne fait que refléter un manque de prise en considération du sujet dans la vie réelle – une sorte de trou noir patrimonial et cognitif. Quels sont nos sites industriels français (et nous insistons sur la notion géographique de site) ? Pour un site donné, quels ont été ses noms successifs, à quelles entreprises et/ou groupes a-t-il appartenu et appartient-il actuellement ? Quelles sont ses caractéristiques : nombres de personnes, type de fabrications ? Autant de questions auxquelles il peut être difficile d’avoir réponse.

Les causes de cet état de fait sont diverses, et corrélées. La désindustrialisation est passée par là, et avec elle un moindre intérêt pour l’industrie. Certaines usines sont devenues friches (certaines reconverties), ou musées – parfois sans rapport immédiat avec leur activité passée. Côté université, l’histoire industrielle n’est pas une matière en pointe – et encore moins la géographie industrielle : des historiens ou acteurs locaux (qu’il faudra mobiliser) ont maintenu une certaine connaissance – sans forcément la diffuser sur internet. Les entreprises elles-mêmes ont bien plus souvent sur leur site internet une vision corporate, et leurs sites industriels sont parfois difficiles à trouver sur leur site… internet ; ajoutons le fait que les rachats successifs ne facilitent pas la traçabilité et la transmission historiques de la connaissance – d’ailleurs les entreprises, si elles s’intéressent peu à leurs sites, s’intéressent encore moins à leur histoire, ou l’écrivent à leur manière (faire état des réductions successives d’activité et d’emploi sur un site donné n’est certainement pas gratifiant).

Ce constat posé, que faire ? Une action énergique portant sur la constitution d’une base des sites industriels des territoires, et sur la diffusion numérique (i.e. sur internet) de cette connaissance, est nécessaire. Par souci du savoir. Par souci d’image de l’industrie auprès de nos concitoyens – les récentes manifestations depuis novembre 2018, réclamant notamment une meilleure prise en compte du fait territorial, ainsi que de l’emploi industriel local, ne sont pas sans lien avec ce sujet, loin s’en faut. C’est aussi un moyen pour nos concitoyens de s’approprier leur tissu industriel que diffuser la connaissance et la description de ce tissu.

Quels acteurs sont susceptibles d’être mobilisés dans cette perspective d’intérêt général ? On pourrait penser à des administrations (ex. Direction générale des entreprises, Bercy) – mais sans doute ont-elles d’autres préoccupations. Des partenaires d’entreprise comme La Fabrique de l’Industrie ont, eux, été contactés. Il est important de considérer dès le départ une certaine efficacité à notre action : la meilleure diffusion de la connaissance possible n’est pas sur un portail, fût-il en .gouv.fr, mais sur un des sites les plus regardés au monde, et le premier de loin pour la recherche documentaire : Wikipédia. Par essence-même, une connaissance inscrite sur Wikipédia a vocation à connaître une plus large audience que par tout autre moyen de diffusion ; ceci n’exclut pas que, parallèlement, la même connaissance, une fois constituée, soit diffusée sur un site public – d’une administration, d’un think tank (La Fabrique de l’Industrie), d’une Région, d’un Département.

Le modus operandi suivant peut être proposé :

  • >> Coopération avec l’association Wikimédia France (déjà contactée) – notamment pour un « week-end contributif » comme il existe dans d’autres domaines (culture,…)
  • >> Partenariat éventuel entre Wikimédia et des Régions ou Départements, par le biais d’un « wikipédien en résidence » (modalités de financement à trouver) : un contributeur Wikipédia confirmé est placé à mi-temps ou à temps plein auprès d’une collectivité, pour travailler sur le sujet des sites industriels du territoire concerné, et nourrir les pages Wikipédia correspondantes. Ce type de « résidence » fonctionne correctement avec des institutions culturelles 
  • >> Le sujet devra être circonscrit : c’est en priorité l’industrie encore vivante qu’il s’agit de documenter – le projet est un projet de patrimoine vivant.
  • >> Des exemples de sites géographiques en nombre très limité sont donnés en annexe (PDF), et par commune.

 

Un comité de projet pourra être constitué, réunissant diverses entités intéressées (contactées à ce jour : Wikimédia France, La Fabrique de l’Industrie). Il aura en charge la définition et le suivi des étapes ; la définition d’une méthode (autant que faire se peut : harmonisation de la constitution de cette connaissance et de son inscription sur Wikipédia) ; la participation éditoriale à d’autres sites publics sur le sujet ; la recherche de financements. Des déclinaisons locales d’un tel comité pourront avoir lieu en province, en fonction des collectivités intéressées.

 

(télécharger sur ce blog le PDF reprenant ce texte, avec quelques exemples en nombre limité en annexe) (#GEOINDUS sur Twitter)

 

(page Wikipédia du projet, #GEOINDUS)

 

 

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28 octobre 2018 7 28 /10 /octobre /2018 15:40

Je me suis récemment abonné à l’Encyclopédie Universalis en ligne – c’est peut-être étonnant pour un wikipédien (depuis 2005), administrateur de Wikimédia France (2008-2010) et membre depuis lors, et qui ai eu l’occasion de m’exprimer ici (Actualitté, 2008) ou là, voire d’écrire (ici), en comparaison favorable de Wikipédia face à Universalis.

Universalis, 50 ans, 1968-2018

Si je me suis abonné, c’est parce que je mène des recherches assez spécifiques sur le xxe siècle, et qu’il est intéressant de voir que telle personnalité bénéficie d’une notice dans Universalis ; comme cette encyclopédie est plus « sélective » que Wikipédia (toutes les personnalités dans Universalis sont dans Wikipédia, l’inverse est loin d’être vrai), le fait que telle personnalité – qu’on croyait par exemple oubliée, ou peu notable – bénéficie d’une notice Universalis est un fait en soi, fait de recherche historique sur l’époque considérée. Certaines notices Universalis, sur une personnalité ou un concept, peuvent aussi apporter un autre éclairage que Wikipédia, parce qu’elles reflètent parfois aussi, de par leur auteur (le fameux mono-autorat chez Universalis), une certaine vision de l’époque où elles ont été écrites : c’est là aussi un fait de recherche historique sur l’époque considérée.

Que l’on se rassure toutefois : j’ai peut-être 1 utilisation Universalis pour 300 utilisations Wikipédia, donc une infime proportion, et relevant exclusivement des deux cas décrits (à la base, une curiosité : tiens, que dit Universalis de telle personnalité du xxe s., et d’abord y figure-t-elle ? et qui a écrit sa notice ?).

Seulement il y a un gros hic, si je puis dire, et d’ailleurs lié à ce qui précède – c’est en quelque sorte le revers de la (toute relative) médaille. On remarque, et on est gêné (pour eux, pour soi), que les notices en ligne d’Universalis ne soient jamais datées. Vieille séquelle du monde de l’encyclopédie papier – dans laquelle les notices ne sont pas datées, seule l’année d’édition papier comptait ; et une fois qu’on avait les volumes papier dans sa bibliothèque, on se souciait finalement peu de leur « fraicheur[1] ». L’internaute est, lui, beaucoup plus exigeant, et vigilant : il fait attention à la date d’une page internet – par exemple il ne veut pas tweeter une information qui date d’il y a 3 ans et qu’il découvre ; mais il est exigeant au-delà de l’actualité : il a conçu – et c’est tant mieux – une exigence de la référence précise, et la date d’un document, d’une page internet, en fait partie (et pour une encyclopédie qui se veut de référence, c'est embêtant qu'il manque une référence comme la date...).

Entendons-nous bien : je n’utilise pas ici l’argumentaire (favorable à Wikipédia) selon lequel « Wikipédia est un savoir en action, comme la science ; tandis qu’Universalis est un savoir établi, voire figé ». Argumentation que je ne partage pas, car le savoir établi est souvent tout à fait valable, pour le niveau d’utilisation le plus courant… C’est plutôt à rebours que j’utilise cette argumentation : en ne datant pas ses notices, Universalis prend le risque – et elle le sait – que l’on s’aperçoive qu’elles sont anciennes (années 1980, 1990 – rien que parfois par la signature des auteurs, décédés depuis, on peut les dater)[2] ; et corrélativement, l'on s'apercevrait non seulement qu’elles sont anciennes, mais aussi qu’elles sont datées – au sens : reflet de l’époque où elles ont été écrites.

Entendons-nous bien, à nouveau (mon billet exploitant une idée, dont je suis convaincu mais qui est sur le fil du rasoir, je suis obligé à ces réserves et circonvolutions) : je suis loin d’être un postmoderne relativiste (« tout savoir est le fruit d’une époque et d’une idéologie, d’un pouvoir dominant, etc. »), mais force est de constater que c’est justement le cas, parfois, et même souvent, des notices Universalis. C’est d’ailleurs pour cette raison, m’aperçois-je a posteriori, que je me suis abonné et que ces notices sont aussi un objet de recherche historique – ceci nous ramène à mon second paragraphe ci-dessus, la boucle est bouclée.

Universalis est dans une impossibilité quasi ontologique de préciser les dates de ses notices. Et finalement, le reproche autrefois fait à Wikipédia par les encyclopédies « traditionnelles » et avec elles par le monde culturel[3], reproche selon lequel « les articles Wikipédia n’ont pas d’auteur [identifié] », effet de manche peu étayé et largement contestable, pourrait se retourner mutatis mutandis, et cette fois-ci avec plus de raisons, contre Universalis et les encyclopédies traditionnelles : peut-être les notices Wikipédia n’ont pas d’auteur (académique, unique, bien identifié), mais ce qui est certain c’est que vos notices Universalis n’ont pas de date [et pour cause !]…

 

 

[1] Jeune, je me contentais largement des volumes blancs de l’Universalis de mes parents, au-delà du simple Larousse des noms propres ; je n’allais toutefois pas jusqu’aux volumes vert foncé du Larousse Illustré des années 1930, que ma mère avait reçu de son père, et qui restait figé dans la bibliothèque du salon. Notons qu’il jouait dans les années 1930, auprès de la génération de mes grands-parents, le même rôle qu’Universalis jouait dans les années 1970-1980, auprès de celle de mes parents.

[2] Quand, pire, on ne voit pas le nom du réviseur (que je connais par ailleurs) en surimpression du nom de l’auteur initial (avec une syntaxe HTML défaillante, on en est gêné pour Universalis), sans date dans les deux cas. Je ne veux pas entrer dans les détails (saisie d’écran à votre disposition).

[3] Sur les oppositions du monde culturel français à Wikipédia (aujourd’hui plus estompées, ou plus discrètes), voir mon article « Postures d’opposition à Wikipédia en milieu intellectuel en France », in Lionel Barbe, Louise Merzeau,  Valérie Schafer (dir.), Wikipédia, objet scientifique non identifié ?, Presses universitaires Paris-Ouest Nanterre, 2015, p. 123-133 (en ligne OpenEditionBooks)

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4 avril 2018 3 04 /04 /avril /2018 11:55

Chaque citoyen a vocation à être intéressé par la formation des « élites » en France : à cet égard, la nomination d’un président à Polytechnique est une décision importante (un certain nombre de candidatures ont été déposées le 30 mars 2018, dont la mienne).

Pour ma part, je souhaite refonder le contrat social de Polytechnique suivant deux priorités principales :

  •  Rétablir la vocation scientifique et le lien effectif avec la recherche comme des priorités d'action et de communication, interne et externe.
  •  
  •  Recréer un lien privilégié avec l'Université Paris-Sud (Orsay), dans un esprit opérationnel de coopération concrète entre universités et grandes écoles.

À terme, il conviendra de trouver un scientifique de réputation internationale et effectivement intéressé à présider Polytechnique : mais il est urgent de commencer dès maintenant à mettre en œuvre ces priorités.

Le projet que je présente ci-dessous (en dossier PDF) répond à l'ensemble de ces objectifs, en détaillant de manière argumentée mes propositions pour Polytechnique.

 

Alexandre Moatti
Ingénieur en chef des Mines
Chercheur associé à Paris-Diderot
www.moatti.net 

N'hésitez pas à prendre connaissance du projet, et à marquer votre soutien en mettant un commentaire ci-dessous. Vous pouvez aussi indiquer aussi vos remarques sur le sujet et engager le débat, important pour tous.

 

PS dimanche 22 avril (pour lever une incompréhension): le Haut Comité de liaison universitaire et de recherche que je propose n'est pas un comité qui se réunit 2 fois/an avec de nombreux absents. C'est un comité opérationnel qui se réunit tous les mois. J'ai déjà en tête qui en sera le président (qui m'a donné son accord).

PS vendredi 27 avril : retrouvez l'interview que j'ai donnée à S. Huet dans son blog invité Le Monde.

PS juillet 2018 : ma candidature n'ayant pas été retenue, j'ai fait un blog autonome pour continuer à défendre les idées indiquées ci-dessus.

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30 janvier 2018 2 30 /01 /janvier /2018 11:58

Google NGramViewer est un outil certes intéressant, mais à manipuler avec précaution. Notamment pour l'utilisation que j'en fais, à savoir les dates d'apparition ou d'occurrence de certains termes (modernité, machinisme, technocratie, transhumanisme, etc.). Il y a déjà un biais qui est celui du corpus Google Books constitué : la recherche se fait sur le corpus numérisé par Google, pas sur les autres livres de la même période.

Mais admettons de travailler dans ce corpus-là. Il y a un biais bien plus grave, un bug même, c'est que, pour les revues (et elles étaient encore en nombre fort important auparavant), la date considérée est parfois celle de constitution de la revue, et non la date du numéro où apparaît le terme cherché ! Nombreux exemples, j'en donne un ici.

Recherche du mot technocratie

La tendance globale est valable : apparition dans les années 1930, et explosion dans les années 1960. Mais si l'on regarde en détail d'autres éléments (ex. le petit bourrelet années  1900, qui intrigue et intéresse, du coup), on tombe sur une occurrence de la revue Scientia, en effet créée en 1910 :

Mais la référence du mot est en fait celle d'un numéro bien ultérieur de la revue, puisqu'il parle d'un ouvrage paru en 1964 (et dont l'occurrence apparaît pourtant en 1910, puisque c'est la date de création de la revue qu'indexe Google Books...) !

Donc, vigilance sur ces dates d'occurrence de mots dans NGramViewer. C'est dû au mode d'indexation très grossier de Google Books pour les revues, point que nous avions déjà souligné à charge de Google Books dans notre ouvrage Au Pays de Numérix (PUF, 2015).

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Présentation

  • : Humanités numériques, édition scientifique, diffusion numérique de la connaissance, Enseignement supérieur et recherche, géographie et histoire industrielles (auteur Alexandre Moatti) = ISSN 2554-1137
  • : Discussions sur le projet de Bibliothèque numérique européenne, sur les bibliothèques numériques en général; sur l'édition scientifique papier & en ligne.
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Avant-propos

Ce blog est créé à la rentrée scolaire 2006 pour suivre les sujets suivants:
# Bibliothèque numérique européenne (BNUE), et bibliothèques numériques en général.
# Edition et revues scientifiques.
Il est étendu en 2023 sur des sujets connexes aux précédents, mais néanmoins liés : patrimoine industriel, géographie industrielle.

 
Alexandre Moatti
 
 

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