J’ai rédigé en novembre dernier un article « Bibliothèque numérique : Google face à l’Europe » qui vient de paraître dans La Jaune et la Rouge (revue des anciens élèves de Polytechnique), mars 2010, n°653 consacré au Livre et Internet. Cet article m’avait été demandé par Pierre Laszlo, coordinateur du numéro (par ailleurs chimiste, auteur scientifique, et auteur BibNum).
Vous trouverez cet article en ligne ici, mais pour ceux qui n’auraient pas la possibilité de le lire entièrement, voici les quelques idées que j’y développe, toujours les mêmes depuis mon rapport remis il y a quatre ans et qui ouvrent ce blog, ainsi que dans mon article du Monde des Livres de 2007 (il faut croire qu’elles commencent à percoler puisque le récent livre de B. Racine, président de la BnF, va dans le même sens sur un certain nombre d’entre elles) :
1) la BnUE (bibliothèque numérique européenne, ou Europeana), lancée en fanfare il y a cinq ans, n’atteint pas son objectif d’être une alternative à Google.
2) D’un point de vue politique, ceci amène le citoyen à s’interroger sur le battage politique et médiatique au plus haut niveau (président Chirac à l’époque) et la réalité des maigres résultats ; il en va de même des programmes européens, coûteux et ralliant une audience limitée.
3) Europeana se limite d’ailleurs à un portail de recherche de documents multimedia (livres, manuscrits, photos, vidéos,…), renvoyant vers les sites des bibliothèques nationales (surtout Gallica d’ailleurs).
4) À l’opposé, Google Books est un site sobre, avec des livres uniquement consultables sur le site -même : une bibliothèque numérique effective.
5) Faisons la différence, rarement faite dans les medias, entre le programme Google de numérisation des livres « patrimoniaux » (qui ne sont plus sous droit) et la numérisation des livres sous droits, qui suscite à juste titre l’ire des éditeurs dans le monde.
6) À propos des éditeurs, l’économie mixte à la française à conduit à créer un appendice dans Gallica, difficlement visible et compréhensible, affichant des livres sous droits, avec des visualisations différentes suivant l’éditeur (Gallimard, etc.) – programme financé sur fonds publics (augmentation de la taxe sur les imprimantes-scanners gérée par le CNL).
7) Par comparaison, en Allemagne, dès 2005 les éditeurs se sont groupés entre eux pour faire une bibliothèque numérique Libreka.
8) Le mythique « patrimoine européen » spécifique à Europeana a fait long feu : car ce qui est dans les bibliothèques américaines, et que numérise Google, c’est justement le patrimoine allemand, anglais, français…le patrimoine de l’émigration qui a fait les Etats-Unis.
9) D’ailleurs, en Europe, les bibliothèques nationales (sur lesquelles s’appuie Europeana) sont un patchwork d’institutions disparate : puissantes en France (BnF) et au Royaume-Uni (BNL), elles sont nettement moins visibles dans des pays d’unification récente comme l’Allemagne ou l’Italie.
10) Avant de s’engouffrer dans une bibliothèque européenne (lisez-vous souvent des livres du XIXe s. écrits en hongrois ?), il eut été utile de monter une bibliothèque numérique francophone – capitalisant sur l’avance qu’avait depuis 2005 la BnF avec Gallica.
11) La diabolisation de l’utilisation de Google, comme celle de Wikipedia, est le signe d’un manque de confiance en l’internaute : celui-ci est, à mon sens, capable de démêler le bon grain de l’ivraie, d’effectuer un travail de recherche (avec un moteur éponyme) ; cette diabolisation émane d’une génération qui, n’ayant pas toujours compris ses usages, voit en Internet surtout ses dangers.
12) Bravo le page ranking du moteur Google s’il me permet de trouver sur Google Books, en deuxième résultat de ma recherche, le livre que je cherche ; on n’a à mon avis pas fini de réfléchir sur cette synergie entre le moteur grand public et Google Books.
13) En 2006, on aurait déjà pu décider que les bibliothèques négocient ensemble avec Google et non en ordre dispersé (idée figurant dans mon rapport BnUE, ainsi que dans le discours Darnton à la BnF en novembre dernier).
14) La foire à la quantité numérisée continue : la BnF nous annonce un millions d’œuvres en ligne – dont 700 000 revues et journaux (j’ignore dans ce cas quelle est l’unité de compte) – en fait il n’y a que 150 000 livres (doublement de Gallica en cinq ans)
15) Question iconoclaste (mais qui se pose à présent) : pourquoi, maintenant, numériserait-on sur fonds publics un ouvrage français qu’on peut déjà trouver sur Google Books ? Quel intérêt ?
16) Question iconoclaste, bis (qui se pose à présent, bis) : quel intérêt aurait Google, maintenant, à aller numériser avec la BnF ou d’autres des ouvrages francophones déjà présent sur Google Books ?
17) L’invocation de programmes franco-allemands pour la numérisation, sorte d’ersatz de programmes européens, m’inquiète quand on connaît le rapport coût/résultat pour le grand public de tels programmes, comme Quaero (Quaerebam comme je l’avais appelé). Idem pour l’invocation au grand emprunt, sauf à mieux définir les objectifs qu'en 2005.
18) Enfin, last but not least, ce n’est pas faute de le mentionner à chaque fois, le dépôt légal sous format numérique n’est toujours pas obligatoire légalement, pour ne pas brusquer les éditeurs. Or les fichiers se perdent, chez les éditeurs, chez les imprimeurs – ces maisons ont souvent un fonctionnement artisanal. Que dirons nos petits-enfants quand ils verront que nous glosions sur une bibliothèque numérique, sans même préparer la leur avec nos livres actuels qui ne seront plus sous droits dans 70 à 100 ans ?
Voilà, désolé de ce billet un peu long – je n’aime pas les longs billets de blogs, mais j’ai ainsi reclassé mes idées (sachant que dans l’article en question que j’ai écrit, j’ai dû à la demande de la revue faire des encadrés hors texte qui coupent un peu le propos). Merci au blog affordance de m’avoir fait connaître la photo ci-dessus qui est un clin d'oeil.