« Relire les classiques » : je crée une nouvelle rubrique sur ce blog. Je le fais aussi parce que certains de ces auteurs ont des positions spécifiques vis-à-vis de la connaissance, du savoir, de la science — c'est un de mes sujets de recherche. Mais on peut relire avec plaisir les classiques sans cette intention — j’espère qu’en tout état de cause, vous y prendrez comme moi plaisir.
Commençons par René-François de Chateaubriand (1768-1848), Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811), et cette merveilleuse note de bas de page :
Source Gallica, édition de 1871, page 241 (l’édition originale ne figure pas sur Gallica, cf. mon billet)
La première phrase de cette note reste bien d’actualité ! Mais ce qui transparaît ici est une forme d’opposition aux Lumières que Chateaubriand a marquée sa vie durant. Le romantisme français (dont il est un éminent représentant) est souvent décrit comme un courant anti-Lumières et parfois même contre-révolutionnaire — il exalte les sens contre la raison, exaltée elle par les Lumières et la Révolution.
- Extrait 1 : « car dans ce siècle de lumières l’ignorance est grande » L’auteur écrit en 1811 mais l’Empire c’est encore la suite politique des Lumières et de la Révolution – lumières figure avec un l minuscule, mais c’est bien le courant philosophique des Lumières qui est visé (d’ailleurs quand cette appellation est-elle donnée ? Chateaubriand en est-il un des précurseurs ?)
- Extrait 2 : « Dieu nous ramène au siècle des pédants ! Trente Vadius… » Le siècle des pédants, c’est évidemment le XVIIe siècle, celui de Molière — Vadius est le collègue de Trissotin dans Les Femmes savantes (1672). Revenir au siècle des pédants, c'est faire comme si celui des Lumières n'avait pas existé.
Un point reste obscur pour moi : entre un érudit pédant du XVIIe siècle, du type Vadius, et un élève-philosophe « en bonnet de docteur », produit des Lumières, la différence semble ténue. Mais peut-être Chateaubriand, avec une pointe d’anti-jeunisme, déplore-t-il là une forme de démocratisation de l’accès au savoir qu’ont apportée les Lumières.
Un portrait (moins connu que celui de Girodet 1808) du vicomte de Chateaubriand, par Delaval ca. 1828