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30 juin 2016 4 30 /06 /juin /2016 14:47

Dans le cadre de ma participation à la soirée Open Content Culturel à la Gaîté-Lyrique le 30 juin (à l’invitation d’Arnaud Morand), et à la faveur d’autres réflexions, je me suis intéressé aux subventions pour le numérique du Centre National du Livre (établissement public à caractère administratif).

Le budget du CNL (saluons la transparence de l’organisme qui affiche sur sa page les PDF de ses bilans d’aides depuis 2010, ce qui m’a permis de travailler dessus) est complexe, par chapitres – c’est presque un budget de l’État ! Nous avons cherché à mieux comprendre ce qui relève du numérique.

1. Le principal poste est le soutien à la BnF (« politique numérique diffusion non marchande », gérée par le «comité de numérisation du patrimoine imprimé ») : 4,5M€ en 2010, 6M€ les 3 années suivantes, 7,5M€ en 2014. Je suis toujours étonné du fait qu’un établissement public en finance un autre (les institutions publiques qui « jouent à la marchande entre elles », R. Mathis  d'autant que ceci représente le quart du budget d'intervention du CNL, environ 30 M€) : c’est le résultat de la décision prise en 2006 (cabinet Donnedieu) d’augmenter l’assiette de la taxe « copie privée », en y incluant une taxe sur la vente des photocopieurs-scanneurs (Numérix p. 40) – cette augmentation fut présentée à l’époque comme une réponse au projet Google Books : l’État, n’ayant pas les moyens d’augmenter sa dotation à la BnF, augmentait la taxe « copie privée » à cet effet. On notera que l’augmentation de la dotation en 2014 (passant de 6 à 7,5M€) correspond au financement du projet ReLire de numérisation des « œuvres orphelines ».

2. Un autre poste important est le soutien aux éditeurs pour la numérisation et la mise en ligne d’ouvrages actuels (« politique numérique diffusion marchande »). Il varie entre 2,46M€ en 2010 (concernant 11 000 titres) et 1,44M€ en 2014 (4400 titres). Le bilan des aides, comme le rapport d’activité, ne sont pas diserts sur le sujet : la plupart de ces ouvrages existant déjà sous format numérique chez leurs éditeurs, on peut penser qu’il s’agit d’une forme de soutien à des développements numériques d’adaptation à divers portails, comme les sites propres des éditeurs, Amazon View Inside, ou Gallica. Concernant les sites d’éditeurs (et le portail Amazon), il ne s’agit ni plus ni moins qu’une subvention (déguisée) du CNL à ces entreprises – à l’instar du soutien de l’État à la presse écrite. Concernant Gallica, nous avions déjà souligné (Numérix p. 40, ci-dessous) l’incongruité de trouver sur un portail patrimonial des ouvrages sous droits, avec renvoi vers le site de l’éditeur (!) et visualisations les plus diverses ; que ceci soit fait avec le soutien public (CNL) renforce l’incongruité.

'Au Pays de Numérix', p.40

3. Un troisième poste, étroitement lié au précédent, est celui de la « politique numérique diffusion marchande » non destinée aux éditeurs, mais aux entreprises de plateformes e-books (« politique numérique e-distributeurs ») : 309 k€ en 2012, 258 k€ en 2013. Les bénéficiaires sont parmi d’autres les sociétés Iznéo, Babelio, Eden Livres, Fantasy. Là encore il convient de se demander quelle est la finalité publique d’intérêt général de tels soutiens ; et encore plus lorsque ce soutien porte sur « l’interfaçage Gallica » (ex. 30 k€ à Izneo en 2010, « projet d’interfaçage du site izneo.com avec Gallica », et 150 k€ en 2011 pour le même bénéficiaire). Tout se passe comme si, sous couvert du portail public Gallica qui lui est un projet d’intérêt général, fort utile, se greffaient divers soutiens publics au secteur professionnel (éditeurs ou portails de livres numériques soutiens techniques des éditeurs). Et qu'à l'occasion de l'augmentation de la "taxe copie privée" (2006), une politique de soutien aux éditeurs pour le numérique ait été mezza voce mise en place, gérée par la profession elle-même (postes 2 & 3)..

4. Un quatrième poste est celui des « conventions de politique numérique ». Les deux précédents postes relèvent de la « commission économie numérique », créée à l’occasion de l’augmentation de la taxe copie privée (2006), et dont la composition – avec des représentants d’entreprises et de syndicats professionnels (comme le SNE) – ne laisse pas d’étonner : il s’agit plus d’une commission de répartition d’une enveloppe que d’une commission d’examen de projets (le taux d’acceptation en 2011, 95 dossiers déposés, 84 retenus  est sans doute un des plus élevés des systèmes d’aide, sans rapport avec les projets de recherche présentés à l’ANR !). Ce quatrième poste, donc, ne relève pas de cette commission (comme l’indique le CNL) : ce sont des conventions de « politique numérique », pluriannuelles, passées de gré à gré entre le CNL et diverses structures privées : 614 k€ en 2013, 143 en 2014. Un des principaux bénéficiaires est le Forum d’Avignon (organisme interprofessionnel de lobbying des industries culturelles, longtemps présidé par N. Seydoux), pour un montant de 100 k€/an (de 2012 à 2014).

5. Enfin, un cinquième poste important dans notre analyse est celui du soutien à la numérisation de revues[1] (titre §6575.6 du budget CNL), pour un montant variant entre 142 k€ en 2010 à 43 k€ en 2014 ; le montant moyen est de l’ordre de 4700 €/revue/an, avec des bénéficiaires les plus divers, principalement liés au monde de l’édition (Gallimard pour Le Débat, Vrin pour diverses revues savantes, etc.). Notons que la plupart des postes (la moitié, sinon les 2/3) sont des « soutiens à la revue pour l’adaptation au portail CAIRN »). Il convient d’ajouter, dans ce poste, le soutien à l’éditeur numérique privé CAIRN lui-même, pour une convention 2011-2013 d’environ 600 k€/an (qui comprend aussi le traduction en anglais de certains articles).

C’est dans le cadre de ces deux derniers postes (4. conventions pluriannuelles de politique numérique et 5. soutien à la numérisation de revues) que nous évoquerons prochainement une autre incongruité, la numérisation privative sur fonds publics d’une revue prestigieuse dont une partie des numéros est pourtant libre de droits (patrimoine public).

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[1] On notera parallèlement, hors numérique, mais dans le cadre de la diffusion de la connaissance via les revues, la rémanence d’un poste §6575.2 de « soutien au fonctionnement des revues » de 900 k€/an.

 

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  • : Humanités numériques, édition scientifique, diffusion numérique de la connaissance, Enseignement supérieur et recherche, géographie et histoire industrielles (auteur Alexandre Moatti) = ISSN 2554-1137
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Ce blog est créé à la rentrée scolaire 2006 pour suivre les sujets suivants:
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Il est étendu en 2023 sur des sujets connexes aux précédents, mais néanmoins liés : patrimoine industriel, géographie industrielle.

 
Alexandre Moatti
 
 

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