Au moment où on parle de taxe "Google images" dans la loi sur la création culturelle, il n'est pas inutile de revenir sur les péripéties qui auraient pu amener à une taxe Google en 2012. La page Wikipédia les rappelle (sans aller jusqu'au bout, à savoir le fonds créé par Google en faveur de la presse); j'avais moi-même sur ce blog écrit en octobre 2012 un billet d'humeur "Une taxe Google au bénéfice de tous !". Dans mon ouvrage Au Pays de Numérix (janvier 2015), j'y étais revenu, ci-après deux paragraphes extraits de l'ouvrage :
C'est cependant l'article de Dan Israël dans le n°1 (juin 2015) de l'excellente Revue du Crieur qui nous y fait revenir ici (cette revue a été créée par Mediapart et La Découverte ― D. Israël est journaliste à Mediapart et à Arrêt sur images). On trouvera peu d'articles critiques sur le sujet de la "taxe Google" devenue FINP (Fonds d'innovation numérique pour la presse), puisque justement la presse en est bénéficiaire. Cet article assez fouillé n'est pas accessible en ligne, nous en donnons ici quelques extraits :
[...] un collaborateur du ministère de l’Économie : "Pourquoi seule la presse aurait-elle été concernée par ce mécanisme ? En toute logique, il aurait dû concerner tous les sites commerciaux, tous les blogueurs. Mais le ministère de la Culture s'était approprié le texte [et le réserve à la presse], puis Hollande décide de peser de tout son poids pour que l'accord aboutisse.
[...]
Signature en grande pompe, le 1er février 2013, à l’Élysée et sous le patronage de François Hollande, d'un accord entre Eric Schmidt, le président de Google, et Nathalie Collin, directrice générale du Nouvel Observateur et figure de proue de l'association AIPG, véhicule du lobbying forcené que venaient de déployer pendant plusieurs mois les éditeurs de la presse papier.
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Dans ses statuts, déposés le 19 juin 2012, l'AIPG précise en effet que ses membres ne peuvent être que "des journaux et publications payants et imprimés sur papier".
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De son côté, le GESTE (syndicat d'éditeurs de tous services en ligne) déplore que Google ait choisi de financer un tout petit groupe d'acteurs, alors qu'au départ la question soulevée concernait tous les éditeurs de services en ligne [...] le label IPG "information politique et générale" correspond aux éditeurs historiques, alors que de nombreux entrants peinent à obtenir ce label, délivré par une autorité administrative.
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En 2013 & 2014 le FINP a financé 52 projets (à hauteur de 60% en général) portés par 41 médias, pour 31,8M€ ; soit la moitié de l’enveloppe prévue jusqu'en 2015 (60M€)
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L'Express s'est vu attribuer la coquette somme de 1,9M€ pour développer le "big data" [...] Bastamag, le site critique de la mondialisation financière, pas particulièrement fan de Google, s'est lui vu attribuer 105 000 euros pour enrichir son offre éditoriale et mieux attirer les dons des lecteurs [...] Le Top10 sur 2013 et 2014 est Le Figaro (plus de 4M€), Les Echos (plus de 3M€) et Le Monde (2,2M€).
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On relève le site Contexte, site d'info destiné aux professionnels des politiques publiques, qui a touché 441 000€ en 2013 puis 766 000€ en 2014, versés à un tout petit media de 10 salariés, lancé en septembre 2013 !
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La manne Google arrivait à un très bon moment : celui du déclin annoncé des aides publiques à la presse, qui subventionnent le secteur à un niveau égalé nulle part ailleurs dans le monde [...] entre 2008 et 2013, les aides à la presse avaient été multipliées par deux, suite aux États généraux de la presse et au plan d'aide massif de Nicolas Sarkozy.
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les trois administrateurs indépendants du conseil du FINP sont rémunérés 2000 € bruts par séance [M.-C. Levet, M. Carduner et S. Ramezi]
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[à/s de Google] quitte à devenir un État dans l’État ? ou un État à la place de l’État?
Le site FINP fait preuve d'une certaine transparence (pas obligatoire pour une entreprise privée ― mais qui rapproche ce fonds d'une aide publique) en affichant ses rapports d'activité 2013 et 2014. On attend cependant le rapport 2015 : il n'y a plus eu de communiqué de presse depuis juillet 2015 ― pourtant le fonds continue à fonctionner, il a encore reçu des dossiers au 30 juin 2016. Arrêt temporaire de communication, on l'espère : il sera intéressant de connaître l'affectation des 30M€ restants.
On peut avoir une critique marxiste du FINP (la presse asservie par le grand capital qui achète son silence) ou une critique libérale (une entreprise privée en finance d'autres "à fonds perdus" ― dixit C. D'Asario Biondo, de Google ― cas sans doute unique au monde): les deux sont valables, on retiendra, parmi les nombreuses critiques ineffectives et très théoriques adressées par ailleurs à Google, que ce fonds FINP en fait un acteur surpuissant dans le domaine politico-médiatique, ce qui n'est pas une très bonne chose.
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Et un extrait live de l'article pour rire un peu :